mercredi 26 octobre 2011

Chanson douce 5

tant sa femme -là, on retrouve le personnage de Brando- qu’il était prêt à tout pour la garder, y compris à lui rejouer la scène du pardon de la pièce de Tenessee Williams. Elle, comme Eva-Marie Saint, a dû céder. Il ne concevait pas de vivre sans elle. Elle non plus, elle le montrera à la fin, mais à ce moment-là, il ne le savait pas. Or, ses belles-filles cherchaient ouvertement à les faire divorcer:
     — Maman aurait pu trouver mieux tout de même...» 
Là, on retrouve le/s terrible/s personnage/s de Vivien Leight de la pièce. Alors ? Qui sait alors ce qu’a pu faire Guiseppe.
Une avance sexuelle pour faire fuir la fâcheuse ? Tout colle: c’est ce que dit Floria.
On a avancé, Hercule...

    Mais avec Anaïs? Là, le cas a du être tout autre: elle a pu se jouer de lui comme elle se joue de tous les hommes. Cela, Léa l’a vérifié récemment. Et puis, elle est moins dure, du moins envers les mâles que Floria. Le jeu innocent de la toute jeune fille qu’elle était l’a-t-il soudain dépassée ? Charmeuse ? Guiseppe s’y est cru: après tout, elle n’était pas sa fille, et la différence d’âge entre eux, de treize ans, était moindre qu’entre Clara et lui. Il aimait sa femme certes: mais peu d’hommes pouvaient résister à Anaïs. Erreur:
     — Retournez à vos truelles, je vous en prie...» 
   Alors ? L’agression-représailles ? Peut-être aussi était-il jaloux de Hussein, le bel Iranien qui ralliait tous les suffrages, y compris celui de Jérôme jeune homme dont il partageait la passion pour les échecs, et surtout de Clara, Clara qu’il allait lui prendre, elle aussi ? En ce cas, l’agression contre Anaïs visait en réalité celui-ci. Qu’importe: Jérôme aurait assimilé sa fille à l’une ou à l’autre et les aurait vengées en lui faisant endosser leur rôle. Ou il s’est vengé lui - même.

   Dans cette famille, on impose au gré des nécessités des personnages de composition aux enfants. Ce n’est pas forcément funeste mais c’est toujours comique tant la réalité parfois y correspond peu: Régis est «snob» ; Marthe, «si jolie» ; Virginie, «sotte» ; Léa, «marginale gauchiste» ; Marie-Line, «affectée»... Tout est dit. En fait, Régis est simple et bon et, comme Gilberte, plein d’humour ; Marthe est une corpulente poupée choucroutée quasi mutique ; Virginie manifeste une finesse de cœur digne et émouvante ; FG, fonctionnaire tranquille, ne se promène jamais avec un couteau entre les dents ; et Marie-Line, médecin de banlieue surmenée, parle net et parfois, vert... Regardez bien, Hercule, ici, on tient une piste, et une sérieuse: l’histoire de Léa est, somme toute, banale, la violence en plus, sans doute, quoique... Tous dans cette famille font endosser aux enfants travers et qualités de leurs parents, avunculaires ou alliés. Parfois, ce sont les parents eux-mêmes qui dirigent la distribution: la fratrie, en principe, s’aligne sans discussion. Ainsi Léa, selon son père, serait gauchiste provocatrice, d’où son éviction par Lisette: il évite ainsi l’idée que c’est, en premier, lui et non sa fille que sa sœur dédaigne pendant vingt ans. D’autres fois, ce sont plutôt les oncles et les tantes qui se font directeurs de casting pour quelque neveu ou nièce. De toutes manières, l’ensemble suit. Les rôles sont, du reste, tellement anciens que l’on ne peut retrouver leur créateur original: les Delage ne se voyant presque jamais, une fois qu’un individu est fixé, il le demeure pour la vie, comme s’il était mort. Demeure le dogme, absolument consensuel.

   Anaïs fut vraiment snob: pas son fils. Et c’est lui qui en sera accusé.  Sophia fut réellement une beauté: sa fille aînée, loin s’en faut. Mais c’est elle que l’on dit «si jolie». Marthe est loin d’être éminente: et c’est Virginie que l’on va taxer de déficience intellectuelle. Léona fut en effet une Communiste fervente quasi fanatique: c’est donc à Léa que l’on va attribuer l’épithète comminatoire. Quant à Lisette, elle fut, c’est certain, chichiteuse: c’est donc Marie-Line à qui l’afféterie sera reprochée. A ce point, c’en est presque trop beau. Aucun Delage n’ose directement incriminer sa fratrie: même s’ils ne se voient pas, à leur manière, ils s’aiment. Douloureux, le passé les a soudés. Ils oublient donc à la fin les vexations mutuelles, réelles ou figurées. Mais l’ire les ronge. Il leur faut des bouc émissaires: les enfants ou les alliés sont là pour ça, que l’on ne connaît presque pas. Cela tombe bien. Il ne faut d’ailleurs surtout pas chercher à les connaître, ces neveux et nièces: tous les prétextes seront bons pour les éviter. A ceux-là, on ne pardonnera pas. Jamais. Les fautes de leurs parents.

   Ce sont leurs rôles, des rôles auxquels certains s’adaptent et qui finissent par leur coller à la peau: ils ont été écrits et distribués une fois pour toutes. Les enfants Delage ne sont pas: ils servent. Léa a servi, comme les autres. Les autres ? Oui, les autres: qui sait ? Un temps. Casta diva.
      
 
   23 La pute de tes parents

   Une scène lui revient, cruelle, odieuse, mais qui corrobore assez bien cette  interprétation de ses relations avec son père, et «explique» son geste. Sa mère, ce jour-là, exaspérée par Anaïs et par Lisette avait jeté devant lui, méchante  et gentiment ironique à la fois, à leur sujet:
    -- Si elles peuvent affecter ainsi de dédaigner hautement  la piétaille, les pauvres, les ouvriers... »

C’est exact: leur dédain en est même parfois comique...

«C’est simplement à leurs relations elles le doivent, non à elles-mêmes ou à un quelconque travail…»

C’est discutable, pour ce qui concerne Anaïs du moins: elle a des capacités intellectuelles certaines qu’elle a su utiliser au mieux, même si ce sont surtout ses relations en effet qui l’ont aidée. Encore lui a-t-il fallu des qualités pour les nouer et les entretenir et il est probable qu’elle valait bien mieux que ceux qui  l’ont portée. Dédaignant l’école, elle n’en a pas moins appris plusieurs langues en un temps record. Là, Léona manifeste cet esprit borné qu’elle détestait tant chez Molière... et chez les Delage: elle semble reprocher à Anaïs la démesure de ses ambitions par rapport à la modestie de ses origines. Anaïs fréquentait  aussi bien des aristocrates, des riches commerçants Farsi que des intellectuels, (de préférence ayant réussi, soit), des hommes politiques et des cadres des sociétés pétrolières, fort nombreuses en Iran, ses deux autres époux américains par exemple. Des riches, en effet, ou des Importants. Jamais des ouvriers, il est vrai. Mais, parmi eux, des gens honorables, des opposants au régime, des libéraux. En un sens, et ceci est à double tranchant ne méritait-elle pas pleinement cette société hétérogène qui lui ressemblait en tout point ? Tous, dans ce milieu, n’étaient-ils pas, comme elle, ou des parvenus, sans connotation péjorative... ou des fils à papa ? Lesquels valent mieux? Les uns, parfois intrigants et âpre à la curée, sont souvent énergiques et talentueux... et les autres, quoique plus élégants,  sont souvent médiocres et mollassons... Peut-être les premiers valent-ils  mieux que les seconds, apportant un sang neuf à une soi-disant «élite» sclérosée de fins de race déchus? Anaïs, modestement, était «une ancêtre», pour reprendre l’expression de Voltaire contre le nobliau qui se moquait de l’obscurité roturière de son ascendance:
   — C’est moi qui suis un ancêtre, contrairement à vous qui en avez
Lorsque la valeur de la personne outrepasse -dans tous les sens du terme- son milieu d’origine, celle-ci ensuite en change, volontairement ou non, pour rallier des pairs. N’est-il pas plus difficile, lorsque l’on est la belle-fille de Guiseppe, de se faire admettre parmi la classe dirigeante, avec ce que cela comporte de positivité ET de négativité que lorsque l’on est déjà par la naissance, dans une prestigieuse coterie ?
Mais il y a manière et manière de s’introduire: la morale simpliste veut que certaines soient plus honorables que  d’autres. Ima soupçonnait sa belle-sœur d’avoir usé de ses seuls atouts physiques, de s’être arrêtée à la séduction des hommes ou peut-être même, plus ou moins directement prostituée. Léa, elle, n’en est, elle, pas sûre. Elle était avant tout volontaire, intelligente, pleine d’humour, intéressante, musicienne, attentive et désireuse d’apprendre, à sa manière de demi autodidacte. D’autre part, dans tous les milieux et particulièrement dans celui-là, les gens, hommes et femmes, n’agissent- ils pas tous ainsi, cherchant à plaire par les divers moyens dont ils  disposent: l’intelligence en est un ; le charme, un autre ; la position et l’argent, un troisième... Ils échangent, en somme ces qualités contre d’autres et contre certains biens: l’admission dans une classe, par exemple. L’homme troque tout: où est le mal si le contrat est équitable ? Ici, Ima est partiale, presque obtuse. Mais comment le lui expliquer ?

...« leur maris, leurs fréquentations qui les ont hissées si haut que l’on ne peut les voir, elles les ont épousés et entretenues essentiellement pour la position sociale qu’ils leur conféraient »...

C’est sans doute exact pour Lise, mais, pour Anaïs, pas tout à fait. Elle aimait profondément Hussein: son désespoir après leur rupture imposée par la famille de celui-ci et son traditionnel remariage le montre. D’une certaine façon, elle ne s’en est jamais remise.

« Crois-tu qu’elles auraient même jeté les yeux sur un petit journaliste de l’Est  comme  toi, mon coco ? »

C’est absolument certain. Leur arrivisme les poussait à porter leurs regards ailleurs, plus haut...  Mais cela ne signifie pas qu’elles n’aimaient pas leurs relations, leurs amis, leurs époux, du moins en ce qui concerne Anaïs. Lisette ? Comme son frère, elle semble incapable d’aimer quelqu’un d’autre qu’elle même… et peut-être Marie-Line, sa fille.  Mais, qu’elle ait aimé ou non Pierre, elle a été une épouse parfaite, ne rechignant jamais à toutes les corvées auxquelles elle se croyait astreinte, en tant que «femme de médecin», comme elle disait gravement, occultant le fait que son mari ne l’était pas.
Mais elles n’étaient pas des midinettes de romans roses, et encore, pour Anaïs, il y a au moins une exception: Hussein. Sur ce plan, Ima était une ingénue: petite fille gâtée par sa mère, fille-à-maman, en somme, à qui, dans l’enfance, tout avait réussi, elle ne comprenait pas que la privilégiée, c’était elle. La position qu’ils allaient leur conférer revêtait certes une place importante, mais peut-être pas déterminante, dans les regards que ses belle-sœurs jetaient sur les gens. Ces jeunes femmes avisées savaient ce qu’elles voulaient: un statut, enfin, de bourgeoises attitrées, incontestable, stable ; fuir la déchéance et retrouver leurs racines. Elles orientaient donc leurs regards du bon côté, évitant ceux qui, trop proches d’elles, ne pouvaient le leur assurer. Cependant leur logiciel, du moins celui d’Anaïs, était plus sophistiqué qu’Ima ne supposait: après un premier «balayage» sélectif du scan, certes effectué en fonction de critères sociaux rigoureux, venait un second, où l’amour romantique, sensuel revêtait une place déterminante.   

«Elles ne furent rien d’autre que des demi mondaines, des prostituées de haut vol, si tu veux…»

Cela, c’était bien dans la manière d’Ima, excessive, lorsqu’elle était humiliée: et ses belles-soeurs s’y connaissaient en la matière... La réflexion est à la fois juste... et injuste: lorsqu’elle entend Floria parler de Hussein, qu’elle apprécie cependant, malgré tout, FG ne peut s’empêcher de penser que c’était lui, le fils à papa soumis à sa famille, qui n’était pas à la hauteur de sa femme et non l’inverse. Pour reprendre sa terrible formule envers Guiseppe «elle aurait pu trouver mieux», elle, qu’un piètre mari, si séduisant  soit-il, qui la quittât quasiment sur ordre.  Si Anaïs, comme le dit  Ima, fut une demi mondaine, alors on peut simplement observer qu’elle a bien mal su gérer sa «carrière»... sans doute parce qu’elle demeurait malgré son arrivisme incontestable, une midinette amoureuse, du moins de Hussein… La suite est peut-être en effet moins glorieuse. A l’instar de Ninon de Lenclos, elle avait eu son «béguin», et ensuite, peut-être, ses « martyrs» ou ses «payeurs».
(Ninon avait pour habitude de séparer ses amants en ces trois catégories bien distinctes. Rien n’étant définitivement acquis, ils pouvait parfaitement passer de l’une à l’autre: un «béguin» ne plaisant plus rétrogradant alors au rang de «payeur» pour perdurer dans ses faveurs, ou de «martyr» lorsqu’il n’y avait plus d’espoir, tandis qu’un «payeur» ayant manifesté quelque qualité imprévisible se voyait promu au rang de «béguin»...)

  Mais Léa a, plus ou moins, approuvé sa mère, pour lui faire plaisir, sans les nuances nécessaires. Comme toujours: Léona était vulnérable et sa fille ne supportait pas que ses tantes la blessent. Son père, rendu furieux par sa prise de position, lui lança en aparté, crachant son venin comme lui seul savait le faire, à mi-voix, (il n’osait jamais s’attaquer directement  à sa femme  lorsqu’elle était ainsi lancée, mais avec sa fille, il ne se gênait pas, au contraire):

    — Anaïs  et Lisette, elles, n’avaient pas de père. Elles ont fait ce qu’elles ont pu comme elles ont  pu. Tu n’as pas à les juger, petite garce: et toi, qu’es-tu si ce n’est la pute de tes parents ?»

   Sans doute devait-il les aimer en effet, pour les défendre d’une manière si passionnée. Cela confirme donc: il a dû y avoir agression, sexuelle, peut-être, de la part de Guiseppe contre l’une ou l’autre: c’est pourquoi SDP les défend si âprement. C’est la seule fois où FG le vit défendre quelqu’un: sa violence inattendue était, à tout les coups, sincère et touchante. D’habitude, il est plutôt du genre Ponce-Pilate, du côté du manche, c’est à dire de sa femme: il se trouve toujours quelque chose d’urgent à faire ailleurs lorsque cela va mal et qu’il lui faudra peut-être prendre position. Une agression sexuelle ? Sans doute... Indirectement récompensée... ou simplement tue par intérêt commun, ce qui d’une certaine façon, revient au même ? Comme celle qu’a subie Léa. Ou régulière ? Qui sait... Glauque.

   Une parenthèse s’impose sur l’expression: la pute de tes parents. Elle est étrange, et révélatrice. SDP voit donc ainsi les rapports parents/enfants, père/fille: ce sont pour lui de simples relations d’homme à femme ou d’homme à homme, sans obligation ni amour spontané, relations qui peuvent éventuellement revêtir la forme vénale de la prostitution. Sans doute sa famille d’origine ne lui a-t-elle pas fourni d’autres modèles ? En effet, ce n’était nullement le devoir de Guiseppe d’entretenir des enfants qui n’étaient pas siens et qui le haïssaient. Mais, vivant avec Clara, il avait, en somme, l’eau du bain avec le bébé... Son père se comporta envers Léa comme Guiseppe envers lui, peut-être même de manière encore pire. Il ne voyait pas en quoi il devait l’aider, l’entretenir, se déchargeant sans même s’en rendre compte de cette tâche sur Léona, Mélanie (sa belle-mère) et tante Denise.







           24 L’argent et la honte

   Relayé par sa mère ainsi que par la jeune sœur célibataire de celle-ci de douze ans sa cadette, Tante Denise, Léona assura pour sa fille l’ordinaire, l’amour, les soins, puis, les études: SDP se trouva longtemps dispensé de toute obligation la concernant, totalement conforté dans son rôle de père-enfant... Jamais il ne trouva cette situation anormale, surprenante: c’était l’habitude. Les trois femmes, sans se donner le mot, la cachaient également. Cinquante ans après, le ressentiment issu de cette inégale répartition du temps, des biens et surtout de l’amour, de leur Grand-mère commune, entre Léa et Jacques, son cousin, s’exprime clairement, chez Nadine, la mère de Jacques, (l’épouse de Matthieu, le frère de Léona). Elle le voit naïvement sur le mode exclusif des biens: Léa aurait eu «tout» dit-elle, sans lui en vouloir aucunement car il est clair qu’elle n’y est pour rien. Sa mère seule serait responsable de cet injuste partage, qui la favorisait ( ?) un peu, en effet, par rapport à son frère, dont sa fille, par héritage, bénéficie maintenant à son tour. Comment expliquer à Nadine que son fils, avait un père ET une mère, tandis que Léa n’avait qu’une mère ? Elle essaya de le lui expliquer: Nadine fut  étonnée, presqu’incrédule. SDP, si savant ? Tiens. Elle n’y avait pas songé.

   Dans la famille de Léa, de ce côté-là du moins, les Cévenols, fort différent de l’autre, on ne parle jamais d’argent, de ce que chacun gagne... Jamais Nadine donc n’avait réellement mesuré à quel point Léona avait dû trimer pour assumer si longtemps, seule, la charge de sa famille, et les privations qu’ils subissaient. Du coup, Nadine se sentit spoliée: elle avait fondé une affaire qui rapporta beaucoup d’argent et se montra toujours très généreuse, discrètement, envers tous ses neveux pauvres, surtout envers Léa. La question pour elle était donc purement symbolique: Mélanie devait préférer Léa à Jacques, tout comme elle avait préféré sa fille à son fils: cela humiliait Nadine, la femme du fils et la mère de Jacques. Pour Mélanie, ils étaient, croyait-elle, les dernières roues du char: et combien Nadine admirait sa belle-mère ! Son ressentiment était donc d’autant plus vif: malgré tous les efforts qu’elle faisait pour plaire, les petits cadeaux, les anniversaires, les fêtes, la tombe des Brémond qu’elle fleurissait scrupuleusement, (elle ne ratait rien de ce qu’une parfaite belle-fille se doit de faire pour sa belle-mère) ... malgré tout, elle n’obtenait que des miettes d’un amour que Léona et sa fille recevaient sans coup férir. Nadine ne voyait pas que si, en effet, Léa était préférée, cela provenait de ce que Mélanie se sentait investie pour elle d’un rôle de père remplaçant: Léa était un cas social, une orpheline non reconnue. Nadine s’était laissée mystifier par le personnage de SDP: et le silence de Léona et de Mélanie sur sa déficience et sur leurs revenus n’était pas fait pour l’éclairer. Cinquante ans après Nadine a compris: elle n’en veut plus à sa belle-sœur. Mais il est trop tard.

   Le cas de Matthieu, son mari (le frère de Léona) est tout autre. Sans que l’on ne lui ait rien dit, il avait, lui, compris depuis toujours: jamais il n’avait protesté devant l’ «injuste» répartition des biens et de l’amour: au contraire, il avait même plusieurs fois avancé de l’argent à sa sœur, à la moindre requête, peut-être même sans requête, ce qui semble révélateur. Apparemment, il n’en avait rien dit à sa femme puisque Nadine l’ignorait: Léa le lui a appris récemment, quarante ans après. Sans doute jugeait-il que cela n’avait guère d’importance. Aisé... généreux, Matthieu ? Sans doute: mais Nadine aussi. Simplement, lui savait, se doutait, elle, non. Et il n’a rien dit, rien expliqué à sa femme. Cela ne se dit pas, ce n’est pas convenable. Mais celle-ci ne lui avait sans doute jamais fait part de ses rancoeurs. Nadine engrange, rumine, dissimule et se tait. Comment aurait-il pu alors l’éclairer ? Chez les Cévenols, on ne parle pas.

   L’argent ! Il aurait fallu dire, expliquer: Léona gagnait dix mille francs par mois, en surveillant, après ses cours, tous les soirs, l’étude, ce qui la conduisait à rentrer à la maison vers dix-huit heures trente ou dix-neuf heures. Elle devait les faire vivre à trois, à Marseille, avec quatre ou cinq mille francs d’emprunt: si on ajoute l’eau, l’électricité, le chauffage, les impôts, les études de Léa au Lycée, et SDP qui avait un rang à tenir -chercher du travail, cela coûte de l’argent-...  ils ne mangeaient parfois pas à leur faim: souvent même. Léona était angoissée au point de faire des crises de désespoir et de vouloir se suicider lorsque tombait une facture imprévue... Grand-mère (Mélanie) et Tante Denise gardèrent Léa au Ranquet, dans la maison familiale, pour la retaper physiquement et soulager sa mère, (qu’elles hébergèrent également, lorsque celle-ci tomba malade). Elles la sur nourrissaient comiquement parce qu’elles redoutaient pour elle malnutrition, rachitisme et tuberculose ; pour Léa, ce ne fut pas le cas, mais pour Léona, si. Pour les sortir de l’ornière, Mélanie avait avancé à sa fille, sur son héritage, une grosse somme d’argent. SDP a passé son examen. Ils l’ont -peut-être?- remboursée dès que son entreprise s’est mise à rapporter, c’est à dire tout de suite. Mélanie leur avait aussi donné la maison familiale, et un terrain à Matthieu parce qu’elle redoutait que SDP ne rate encore son affaire: il se fourvoie tout le temps... C’est arrivé d’ailleurs, mais après quatre ans, et avoir gagné enfin un peu d’argent. Cela, on ne le dit jamais. En a-t-on honte ? Sans doute. Etre dans la misère, est-ce une tare ? Oui. Et surtout, qu’un homme se trouvât dans l’incapacité de faire vivre sa famille, voire de se prendre en charge lui-même, constitue une tache inavouable. On se tait, on serre les dents, et on ne mange pas: les malentendus perdurent, s’enflent... On se rencogne, on ne reçoit personne, on ne sort pas. Jamais. Il ne faut pas que les autres sachent.

   Dommage: c’est maintenant que Nadine comprend sa belle-sœur. Elle pourrait l’aimer, l’estimer pour son courage qui confinait à l’héroïsme. C’est trop tard. Elle l’avait toujours prise pour une petite fille gâtée égoïste, autoritaire, orgueilleuse,  ce qu’elle avait été autrefois sans doute... accapareuse, âpre au partage, voire spoliatrice, ce qu’elle n’était pas.  Deux femmes, au fond assez proches, ne se sont jamais parlé franchement durant toute leur vie, passée en partie côte à côte, à un jet de pierre d’une de l’autre, et n’ont pas pu s’aimer. Omerta: le sexe et l’argent. Toujours.


       25 Monde et demi monde:
           splendeur et opprobre

   Clara... Qui sait si celle-ci n’a pas été perçue par Jérôme comme une sorte de demi  mondaine ? L’a-t-elle effectivement été ? Dans le milieu artistique, du théâtre, de l’art lyrique, qui était le sien des deux côtés, -le cousin de Luc était Jean-Baptiste Delage, le sculpteur-,  ces situations sont relativement fréquentes et assez bien tolérées. Les artistes, surtout à cette époque, étaient soumis/es à d’innombrables sollicitations, inopportunes... ou opportunes: le métier est rude, aléatoire, impitoyable, la tentation était donc prégnante, pour ces jeunes femmes professionnellement séduisantes, lorsqu’elles ne réussissaient pas, de répondre plus ou moins vénalement à des quêtes masculines insistantes. Certain/es, combinant carrière réussie et amants souvent généreux, s’en tiraient au mieux. Où est la limite ? Devenue trop âgée pour la scène, -sa voix tomba vers cinquante-cinq ans- Tantie elle-même, bien que non dépourvue, cette Tosca sachant au mieux gérer ses cachets, ne fut-elle pas aimée par un (des ?) riche admirateur qui la combla et en fit sa légataire universelle ?

    Qui sait si Guiseppe a été le seul à bénéficier des faveurs de Clara, avant leur mariage du moins, peut-être plus ou moins indirectement tarifées? Tous s’accordent sur ce point: elle était belle et talentueuse. Sans ses nombreux   enfants, elle aurait pu faire la carrière de sa sœur: a-t-elle joué les doublures de Lise ? N’oublions pas que l’on les croyait jumelles. Pouvaient-ils vivre, avec Anaïs qui sortait, s’habillait… seulement avec les loyers des pensionnaires ? L’éducation des enfants, contre vents et marées, fut bourgeoise, soignée, donc coûteuse... mais traditionnelle, Catholique et plutôt guindée: excellent Lycée pour Jérôme et Floria, cours de piano, de chant et de danse pour les filles... Le cas est classique: désirant éviter à ses enfants les inconvénients de sa nouvelle situation, Clara a pu les éduquer selon des principes opposés à ceux qu’elle adopta provisoirement, en catimini, par nécessité. Et puis, même pour une demi mondaine, l’instruction, la culture, le sens artistique et l’apparat demeurent des atouts maîtres, plus peut-être que pour une femme ordinaire: ce sont les seuls qui la différencient d’une vulgaire prostituée. Après tout, entre une demie mondaine et une femme du monde, la différence est mince: la famille d’origine, le hasard de la Fortune délimitent des zones mal définies, avec un no man’s land mouvant qui fait interface... Un divorce intempestif, une ruine imprévue peuvent facilement faire basculer d’une position à une autre. Entre une jeune bourgeoise ou un jeune bourgeois qui se marie seulement par intérêt financier, et une femme divorcée sans ressources qui accepte un ou plusieurs hommes, dont peut-être certains lui plaisent, qui plus ou moins l’entretiennent, où est la différence ? Dans le «plusieurs» ? Dans le mariage ?  Dans les conventions sociales ? Oui, en effet: cette distinction est à la fois moralement fautive et socialement dirimante. Lise pouvait tout se permettre: elle était Tosca. Pas Clara, qui, en province, évoluait dans un autre milieu.


   26 L’enfance d’un fou


    Les conventions sociales ? C’est là où justement blesse le bât: sa situation de pseudo demi mondaine, -si c’est le cas-, a dû mettre Clara douloureusement en porte à faux, l’obligeant sans doute à jouer une partition sophistiquée à plusieurs portées: il lui fallait la «cacher» à tous, aux amis surtout... et à ses enfants... qui ne l’ignoraient pas (!)  voire même, en étaient peut-être les victimes, et subir, surtout à la fin, leur froide réprobation, d’autant plus prégnante qu’ils étaient traditionnellement éduqués, et d’autant plus paradoxale qu’elle seule leur avait permis cette accession ou ré accession à la bourgeoisie traditionnelle. Mais à quel prix ?

   N’est-il pas contradictoire de donner à des enfants un exemple... que l’on leur interdit théoriquement de suivre, d’agir plus ou moins devant eux... en opposition aux principes qu’on leur inculque ou laisse inculquer...  tout en laissant parfois planer  un flou qui semble autoriser voire recommander... de le suivre ?

   Le double bind, décrit souvent comme deux ordres contraires que l’on donne à quelqu’un, dont l’exemple type est: «obéis-moi: désobéis !» ?
Ici, ce serait même un triple bind. «Fais ce que je dis et ne fais pas ce que je fais
- car ce que je fais est interdit -...  et aussi, en même temps: fais ce que je fais, mais pas ce que je dis- car ce que je dis n’a pas cours en ce monde -... Mais tais-toi…»
Cela donne le vertige. Comment s’y sont-ils retrouvés ?

    Que Jérôme -et, dans une moindre mesure, ses soeurs - ait ensuite été extrêmement doué pour le mensonge, l’hypocrisie, la duplicité, la comédie, n’a plus lieu d’étonner: à côté de ce qu’il avait vu dans son enfance, ses batifolages étaient du mouron pour petits oiseaux. Peut-être est-ce la raison de sa totale absence de scrupules et de remords, de sa bonne «foi» féroce et naturelle qui confinait à l’inconscience, lorsque, par exemple, il se permettait de faire des leçons de morale à sa fille, en termes sévères et sans appel. On le plaindrait presque, en effet,  lorsque l’on analyse cette situation extraordinairement pathétique. Sans doute Clara n’avait-elle pas le choix. Quatre enfants à élever, un divorce... Mais.... tout de même... Léa s’arrête. Comme dit Floria, trop c’est trop. Ni coupables, ni responsables: mais tous ces enchaînements donnent le vertige. Pauvre SDP.
Un temps. Tosca. Vissi d’arte…


      27 Le dernier homme

   En ce cas, Guiseppe aurait été le dernier homme, ou, pire, un parmi d’autres, le plus constant, qui sait ? Ou celui qu’elle aurait pris pour faire une fin ? A quarante ans, une telle carrière, en général, s’interrompt, sauf lorsque l’on est Diane de Poitiers. Pourquoi pas ? Cela expliquerait que, bien qu’amoureux, Guiseppe ne se soit nullement senti tenu à une obligation de fidélité envers Clara ; ses avances vis-à-vis d’ Anaïs l’attestent.

   Ici, l’accusation de Floria resurgit inexorablement: sa mère aurait été complice de ces tentatives. Clara, une fois âgée, aurait-elle fermé les yeux, laissant se proposer à une ou à plusieurs de ses filles, un ou des amants, peut-être parmi ses fidèles, qu’elles aient ou non accepté ? Cette intellectuelle a-t-elle joué les Pompadour ? Guiseppe ? Pour celui-ci, cela semble douteux: on ne se suicide pas pour une femme si l’on n’est pas follement amoureux d’elle, et si on l’est, en principe, on se soucie peu des autres. Quoique... des hommes sensuels séparent souvent  leur affectivité en deux, le sexe d’un  côté, l’amour de l’autre. (Anaïs ?) Mais Léa pense plutôt à d’autres: qui sait si des hommes (les «siens» ?)  n’ont pas, sans forcément que Clara s’en soit rendue compte, (peut-être n’a-t-elle pas voulu le voir ?) jeté à un moment des yeux... qui n’avaient rien de paternels, sur ses filles ? Des succédanés d’incestes, en somme, aboutis ou non: Jérôme a dû s’en douter, le savoir. N’est-ce pas là la source de sa faculté extraordinaire de s’abstraire des choses et des gens, en famille ? De son repli hautain et obstiné ? Il est des situations qu’il n’a pas dû vouloir voir, dans son enfance. Ensuite, l’habitude fut prise, qu’il ne modifia jamais. «Je ne suis pas là».

    Dans ce milieu, cela se fait en effet: les demi mondaines finissent souvent, soit bourgeoisement mariées, soit en Madame Claude ou femmes d’affaires, prospères ou non.

    Mais peut-être est-ce plus simple encore: que des filles, fascinées par leur mère
-et on a vu le pouvoir de fascination, au moins sexuelle, de Clara, comme celui de Lise- aient été tentées d’elles-mêmes de reproduire ses attitudes, ses comportements n’a rien de surprenant. Léa essaie de se représenter  la situation: Clara, «nature», bonne vivante, cultivée et sans chichis incluait, sans excessives complications, gourmandise et sensualité dans son existence de belle femme entourée. Elle se situait plus près de Colette que de la Princesse de Clèves. Une de ses réflexions, comique, citée à Léa par sa mère, encore stupéfaite, des années après, de l’aplomb de sa belle-mère, est révélatrice: une commère supposant devant elle que l’une de ses amies trompait son mari, Clara démentit aussitôt avec vigueur. A la question étonnée de la médisante, surprise de la ferveur avec laquelle elle défendait l’incriminée:
 — Qu’en savez-vous donc ?»
Elle rétorqua benoîtement:
 — Elle ne peut pas, voyons: elle n’a pas le temps...»

   Clara aimait l’amour et elle avait certainement été aimée de même, vénalement ou non, sans doute les deux alternativement, en fonction de ses divers revers de fortune. Comment s’étonner qu’elle ait pu envisager sans trop d’état d’âme que ses filles, provisoirement, en fissent autant...  tout en désirant en même temps qu’elles se hissent hors de ce milieu ? Comme toute bonne mère ? Pour préserver leurs chances d’un mariage ou d’un statut convenable et honorable, il fallait donc que tout soit caché: un secret de famille totalement enfoui. Une chose que l’on ne disait jamais mais autour de laquelle toute la vie tournait ? Gigi ? Pourquoi pas ? S’il faut en croire Floria, et hélas, même si elle est dure, il faut souvent la croire, la famille devait être toxique pour les filles. Non pas à cause de l’exemple de «carrière» fourni et peut-être indirectement proposé par Clara, nous avons vu que sa vitalité joyeuse et gaillarde a dû s’accommoder aussi de ce rôle-là, mais davantage peut-être en raison du double jeu qu’elle imposait à tous. Entre le Monde (le passé), le pseudo Demi Monde (le présent), et le Monde futur à reconquérir (l’avenir brillant projeté par Clara, pour ses enfants), il fallait  naviguer, jouer serré, mentir sûrement, à tous et toujours. Elle était ambitieuse et, à sa manière, une «bonne» mère: elle n’a sûrement pas voulu pour ses enfants les aléas de sa propre existence. Leur éducation soignée en constitue une preuve, pas très probante du reste. Il fallait donc biaiser, louvoyer ; cela devait être plus délétère encore pour ses enfants que d’avoir une mère entretenue, par un ou peut-être  plusieurs hommes qu’elles devaient connaître voire rencontrer à la maison. Que tous aient fui est normal: d’une certaine manière, c’est Clara qui les a conduits à rompre.

    La pitié et l’admiration, en même temps saisissent Léa pour cette grand-mère inconnue qu’elle a sans doute méjugée. En faisant enfin de ses filles des bourgeoises, des «vraies», -et elle avait  tout mis en œuvre pour cela-, savait-elle qu’elle allait les perdre à jamais ? Sans doute.

    Léa se souvient soudain d’une vague réflexion de Léona sur Clara (?), Léona fort douée pour donner à sa fille des morceaux de puzzle épars, sans le dessin à reconstituer. Léona la prude. La Cévenole que ces choses-là dépassent, comme elle avoue:
     — Parfois, on croit aider ses enfants, on fait tout pour eux, et ensuite, ils te méprisent en raison même de ce que l’on a fait...C’est bien triste…»

   De qui parlait-elle ? L’attitude de Léona envers sa belle-mère  est curieuse: elle qui a la dent si dure parfois envers des belles-soeurs, du moins envers Lisette et Anaïs, «des demi mondaines», ne profère sur Clara que de vagues propos élogieux, toujours les mêmes, sans insister, comme si elle ne se résolvait pas à en exprimer davantage ou si elle récitait une leçon:
    — Oui, un personnage... Une maîtresse femme... Très élégante, très bonne cuisinière... Un peu trop maquillée, peut-être ? Et teinte, ce qui ne se faisait pas à l’époque. Elle s’en est bien tirée, la pauvre... Il n’y a rien à dire... Seule, avec tant d’enfants... »

  Il n’y a rien à dire.
Et elle ne dit rien. Bien sûr. Elle ne pouvait rien dire à sa fille: elle lui donnait seulement des pistes. Et, en ce sens très «Delage», elle accusait  aussitôt, selon le processus habituel... ses filles ! On y revient, Hercule: Léona avait compris la Comédia, et, pas plus sotte que les  autres, elle aussi savait mettre en scène des boucs émissaires : Lisette et Anaïs, les demi mondaines.  Clara ?
«Il n’y a rien à dire.» On y est, Hercule.


28 Antigone et Odette de Crécy

   Léa peine à la voir ainsi: mais qui pourrait s’imaginer que Léona, la bonne, la morale Léona qui cependant aimait sa fille, a sûrement su pour le geste de son père, et s’est tue, du moins sur le geste en lui-même ? Peut-être les Tantes de Léa, ou certaines seulement, furent-elles les consentantes «victimes» de Clara -plus ou moins  contrainte de tolérer des incartades, voire, les susciter-, ou plutôt d’une situation inexorable, atteintes par ricochet, en somme, puisque ce fut Clara qui fut la première victime, celle qui n’était pas reconnue, celle qui consentit probablement, à la fin, au méjugement de tous ? Léa les a sans doute mal cernées, elles aussi. Leur morgue n’était que détresse. Leur arrogance, désespoir. Enviaient-elles Ima, la belle Méridionale nature, petite institutrice sans histoires et fille-à-maman aimée ? Sûrement. Ima ne l’a pas compris: mais ce n’était pas compréhensible: le jeu de ces comédiens, à la scène comme  à la ville, était parfait.

   Léona... et Clara ! FG sourit: le choc est rude. La Communiste, la candide Cévenole... à côté de la belle femme, légère, éclatant d’une joyeuse sensualité qui énonce, tout en garnissant une tarte, comme un fait banal...
        — Mais non elle ne peut pas tromper son mari, voyons, elle n’a as le temps…»

   Antigone et Odette de Crécy, ce pourrait être le titre d’un film. Léa rit en les imaginant toutes les deux. Il avait bien joué, SDP, pour enfin quitter son milieu: à sa manière, il avait visé haut et fort. Cela le rend presque sympathique, tant le décalage est vertigineux. Une héroïne de la Résistance, la fiancée de Gustau, il ne se refusait rien. Léa est le résultat hybride de cette union contre nature, l’union du fils d’Odette de Crécy avec Marie-Claude Vaillant-Couturier... De Robert de Montesquiou avec Dolorès Ibarruri ou Andromaque... Comment s’étonner de son malaise, de cette lutte en elle de deux forces contradictoires qui s’épuisent mutuellement et la déchirent parfois ?

    Alors, pour qu’Antigone ne se mêle pas de leurs affaires, -surtout pas celle-là- les soeurs de Jérôme feignirent de la mépriser, subtilement, à la manière Delage, pour la conduire, elle, à fuir: il importait que cela ne semble surtout pas venir d’elles... Quitte à lui reprocher ensuite d’avoir enlevé  leur frère. Ce fut réussi. Elles gagnèrent ainsi cinquante ans de tranquillité, et un jugement faussé, des pistes définitivement brouillées. Sans la perspicacité de FG, Hercule...
Toutes agirent ainsi, sauf Floria, l’intellectuelle courageuse, qui n’avait rien ou ne voulait rien cacher, que son saphisme, invisible à jamais... jusqu'à quatre-vingt-trois ans. Et Manon: et encore, nous y reviendrons...

   Les filles qui auraient été sollicitées seraient donc Floria (!) Anaïs, (par Guiseppe), Lisette...(?)  Pour ce qui est de Manon, cela semble improbable.
Et Sophia ? La question se pose ici, évidemment: sa beauté... Et, après tout, elle n’était pas, elle, vraiment, la fille de Clara. Qu’a dit au fond Roberte la «folle», d’ «affreux» sur sa sœur et Clara, qui fonde Michèle à se satisfaire ouvertement de sa mort ? FG essaiera  de le savoir (voir à ce sujet chapitre suivant). Mais c’est facile à deviner, à présent, Hercule. Evidemment. La jalousie pathétique de Marc qui ne se démentira jamais ensuite prend peut-être là sa source. Il n’est pas forcément si sot que cela, Marc, malgré sa réputation. Mais Sophia a toujours aimé Clara, sa seule vraie mère, dit-elle. Soubrette ? Oui: mais une soubrette sait, envoie des lettres, dénoue des situations, fait sortir les fâcheux par une porte et attendre les VIP. Là, on est passé de Tosca au Vaudeville de boulevard, de la tragédie Lyrique au Caf’conc’. Un temps. Plaisir d’amour...

    Léa comprend mieux à présent leur soif de respectabilité, leur retenue, leur souci de se marier bourgeoisement au plus tôt ou de s’installer dans une existence tranquille, aisée et surtout socialement conforme. Floria, Manon, SDP y réussirent, très relativement ; Lisette échoua à demi ; Marc, totalement. Anaïs, en partie.

    Il semble qu’un sort ironique et funeste les ait tous empêchés, malgré leurs efforts, d’atteindre totalement leur but. Quelque vétille, la malchance, parfois un simple détail, cocasse, faussent toujours leur jeu, les marginalise, et renvoie ces Atrides à la d

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